La question m’est tombée dessus mercredi dernier, lors d’une discussion avec Alec Henry ( un des leaders francophones de la formation en entreprenariat) . Comme J’opère une agence de détectives privés pour les entreprises , Alec me faisait part d’une ancienne et sévère désillusion ayant affecté toute son équipe suite à la déloyauté d’un employé .
La question du bris de confiance est certainement une question majeure pour Alec, car elle est revenue dans l’excellent épisode de son podcast le Déclic où Alec racontait sa mésaventure à son invité Oussama Ammar.
Ma réponse était qu’à la base il n’existe aucune raison d’avoir foi en l’humanité.
L’humanité est un concept vague que l’on se force à imaginer. Il n’y a que des individus ayant des parcours linéaires ou chamboulés, qui grandissent, stagnent, pourrissent, s'améliorent, se détruisent ou s’épanouissent selon les choix de vie, les rencontres, les forces et les faiblesses, et selon la succession d’une multitude de microdécisions (1) .
Dans une autre vie professionnelle, il y a longtemps au XX siècle (précisons la fin du XX siècle ) , lorsque je travaillais dans les renseignements extérieurs , j’avais eu à observer , de très près, l’organisation terroriste Sipah-e-Sahaba , Pakistan. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Sipah-e_Sahaba_Pakistan).
Les jeunes militants vivaient en dortoir dans l’austérité, la crasse, le dénuement, la privation de sommeil et de nourriture , puis étaient armés pour tuer du « kouffar » (infidèles) et se sacrifier….
Mais leurs jeunes leaders …le soir venu… changeaient de vêtements, retiraient le turban, regagnaient leurs villas de luxe, style Miami Beach dans le quartier chic de Clifton à Karachi. Ils sortaient leurs Mercedes rouge décapotables et organisaient une rave party sur la plage, avec alcool, filles et cocaïne.
Leur DJ jouait « GO » de Moby, le tout protégé par des policiers corrompus qui bloquaient l’accès à la plage pour éviter tout témoin.
Pendant ce temps, les jeunes militants reclus dans le quartier de North Nazimabad à l’autre bout de la ville ignoraient tout de la double vie de luxure de leurs leaders et s’apprêtaient à tuer et à se sacrifier pour espérer entrer en martyr au paradis (2).
Ce fut une autre fissure, ni la première, ni la dernière, parmi bcp d’autres, dans ma foi dans l’humanité. Mais le problème est vite réglé : Il suffit de ne pas avoir foi dans l’humanité et de se concentrer sur ce qui doit être fait pour se sentir bien dans sa conscience. Les surprises ne seront que les bonnes.
Pas besoin d’aller trop loin dans les affaires de géopolitique ou de terrorisme, les fraudes de notre environnement quotidien suffisent:
- Que dire des fraudes par abus de faiblesse et de confiance commises dans les familles pour spolier les personnes âgées de leur patrimoine. Ce crime est souvent commis par les enfants des victimes (40 % des cas aux US et Canada). Lorsqu’il est commis par les propres enfants des personnes âgées, le préjudice est aggravé par l’état de dénuement, d’abandon, de stupéfaction, de choc psychologique, de déception de toute une vie ressenti par la victime.
- Que dire des atteintes à la réputation, par des blogues incendiaires, des avis Google anonymes ou forgés, ou pires encore des articles de presse qui cherchent à détruire une réputation pour permettre à un journaliste ou à un média de rejoindre juste à temps une mode de dénigrement, sans jamais rien vérifier ?
- Que dire des prises de contrôle d’actifs par le crime organisé qui se jette sur une start-up pour disposer d’un hub de blanchiment (il faut bien qu’ils varient leurs actifs) , ou bien des faux business angels qui sont les prête-noms d’un concurrent (pas rare en TI et SAS), ou bien la manipulation par un concurrent d’un employé vulnérable, dans un but d’espionnage industriel ?
Et nous aussi , nous manipulons
En entrevue prétexte, dans nos enquêtes, nous manipulons nos interlocuteurs à tour de bras pour aller chercher de l’information et en interrogatoire nous faisons croire au suspect que dire la vérité va tout arranger. Or c’est un mythe : Dire toute la vérité n’a jamais rien arrangé et le suspect s’en rendra compte rapidement.
Nos enquêteurs et moi-même sommes plutôt doués en manipulation. Dans les débuts nous protégions notre bonne conscience par la conviction d’agir pour une bonne cause. Pourtant, la supposée « bonne cause » était seulement celle du client. Il nous est arrivé parfois de découvrir que le fraudeur avait parfois plus d’éthique que le client . Mais le client a été bien servi, la fraude démontrée, le fraudeur dénoncé et sanctionné par un processus légal efficace basé sur notre rapport et les preuves collectées. Il y avait cependant un petit malaise de notre côté.
Nous avons résolu le problème en étant depuis longtemps très attentif au motif légitime d’enquête, au ‘’Ethic Market Fit’’ avec le client et ainsi le servir avec un engagement total, y compris celui de dire ce qu’il ne veut pas entendre.
Faire confiance en affaires et faire face aux déceptions
J’aimerais être plus souvent en désaccord avec Oussama Ammar, juste pour le plaisir du débat, mais encore une fois il avait raison dans sa réponse à Alec (3).
À la question d’Alec sur le risque de perte de foi dans l’humanité lorsque la confiance est trahie, Oussama a répondu : ''Cela fait partie du jeu, il faudra quand même accepter le risque de faire confiance à nouveau la prochaine fois, car sinon rien ne se passe.''
À cela j’ajoute que les regrets après une déception en affaires sont totalement inutiles, seule l’expérience est utile. Le sentiment le plus douloureux est de revisiter et de ruminer le passé.
À la place Il faut avancer jusqu’à la prochaine belle découverte humaine, avec tout le risque que cela comporte.
Chaque individu est un mystère à découvrir et les bonnes surprises sont bien plus nombreuses que les mauvaises. L’humanité n’est pas une divinité à laquelle il faut croire, ce serait une dangereuse illusion. Il faut s’abandonner à la découverte, le risque sera toujours là mais l’expérience fera aussi son travail et vos antennes de détection seront plus affûtées.
Faites confiance après une vigilance raisonnable, et nous sommes là aussi pour régler ça. (Sarx Inc creuse bien plus loin que les due diligence habituelles.)
Ne jugez pas d’avance et ne croyez pas que les lois et les normes suffisent à protéger.
Les trahisons éventuelles deviendront des apprentissages gérables.
Le passé c’est l’expérience, le reste ne sert à rien.
(1) comme dans le film de 2011 trés intriguant '' Le bureau de contrôle'' , science fiction qui s'intéresse aux impacts de chaque décision de vie dans un monde où tout est supposé prédestiné.
(2) C'est souvent dans le pire que la réalité dépasse la fiction. Cette situation à Karachi serait jugée invraisemblable par des réalisateurs de films d'action, et pourtant combien de chefs terroristes, chefs religieux intégristes , ont eu une double vie ? La majorité bien sûr, car le pouvoir de conviction du fanatisme permet , comme dans les sectes, l'accès à tous les écarts et tous les crimes.
(3) Écoutez sans vous restreindre et sans ma permission le podcast Le Déclic https://podcast.ausha.co/le-declic-podcast-par-alec-henry, même si ‘’sans permission’’ est un autre excellent podcast , https://www.youtube.com/@sanspermissionpodcast, mais là je vous mélange un peu en faisant d’une paire de podcast deux coups.
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